06/09/2009
Marketing en temps de crise: conférence ADETEM 23 juin
Le 28 mai dernier (c’est dire si je suis en retard !), l’équipe ADETEM Rhône Alpes a eu l’honneur de recevoir à Lyon Danielle Rapoport, psychosociologue, experte de l’analyse des modes de vie et de la consommation
Elle nous a apporté sa vision sur le thème Crise : nouveaux consommateurs, nouvelles opportunités ?
Les études de cas et surtout contre-exemples ont été amenés par Anne Elisabeth Bureau, consultante chez Loyaltouch (ex-Kouro Sivo), spécialiste de la motivation et de la fidélisation des réseaux de vente et commerciaux
Nous leur avions demandé leurs éclairages sur les nouveaux comportements du consommateur et du client, et les pistes pour les marques et les marketeurs pour repenser leur offre produits et services.
Danielle Rappoport a d’abord remis en perspective le tableau du consommateur actuel:
·Le contexte de crise pour le consommateur n’est pas récent : depuis le début des années 90, il existe un contexte psychosocial délétère, de défiance vis-à-vis des institutions au sens large et de sentiment général de perte et de peur de l’avenir
·Cette perception est amplifiée par la superposition des crises (vache folle, grippe aviaire, porcine etc…), l’hypermédiatisation des facteurs d’alarme et la gestion additionnelle d’autres crises plus permanentes (crise du risque, du temps, du moi, de l’altérité)
- Les consommateurs ne sont pas tous égaux devant ce contexte (niveau d’information pouvoir d’achat perçu ou réel, situation personnelle …) et ont développé 3 grandes stratégies pour rebondir et gérer cette crise :
- l’action, l’implication, la création de lien => développement durable
- le compromis, les nouveaux arbitrages
- la « bunkerisation », la réduction du risque
- La consommation ne bénéficie pas aujourd’hui d’une « bonne » image : perte de l’innocence et de l’évidence des années 60 (angoisse du surchoix) et consommer peut apparaître aujourd’hui comme une menace (crises sanitaires, tentations multiples, le marketing de la peur)
- Cependant il existe des opportunités, des nouveaux besoins à satisfaire: recherche de simplicité (et non de basique), d’hédonisme (mesuré – risque de perte de contrôle), de singularité (et de co-reconnaissance), d’intelligence et d’imaginaire (le luxe mais pas à n’importe quel prix), le « faire soi-même » (économique et valorisant), les alternatives à la possession ( la notion d’usage prend le pas sur la notion de possession)
Dans ce contexte, on peut trouver un terreau favorable pour plusieurs axes de produit/service:
- Le développement durable
- Les offres de services
- l’innovation stratégique
- l’usage des NTIC
- le marketing du réenchantement
Le développement durable (dont nous avions justement parlé il y a deux ans) amène plusieurs réponses aux peurs et aux nouveaux besoins
· Il crée un nouveau rapport au temps ( il « tricote du futur », intergénérationnel, donne de la valeur à la 2ème, 3ème vie…), un nouveau rapport à la confiance et au changement ; on passe de l’illimité au limité rassurant avec une possibilité de créativité forte (faire mieux avec moins)
· Le consommateur retrouve du pouvoir, une possibilité d’action, un partage des responsabilités
· De nouvelles valeurs émergent : les valeurs du local, la valorisation des liens et des réseaux, développement de la 2ème/ 3ème vie des produits, développement d’un nouveau rapport à la nature (recherche des ingrédients rares en profondeur et non dans l’étendue)
Mais attention : les clients mettent des conditions pour passer aux actes durables
- Désirabilité de l’offre et prix justifié => utiliser une sémantique positive et attractive
- Cohérence de l’offre : inspirer et redonner confiance
- Démocratisation de l’offre, accessibilité (pas de restrictions « sous réserve de »)
- Et surtout Crédibilité de l’offre ! Attention au "greenwashing," surexploitation du « filon vert » et sémantique seule sans réalité concrète … (voir ici la définition et des exemples de greenwashing et ici une expo de créations graphiques sur ce thème. dont celle de leonora ci-contre)
Les offres de services, sont aussi des opportunités pour les marques de :
- · Redonner du positif au mot service en France (toujours rattaché chez nous aux racines servitude/servante, plutôt qu’au « customer care » pratiqué par les anglo saxons)
- · Créer de la proximité et des liens forts avec les consommateurs
- · Se différencier pour vendre « plus que du produit »
- · Créer de la co-reconnaissance pour une fidélité renforcée
- · Contexte d’économie de l’usage vs la possession => les valeurs de l’économie fonctionnelle se développe
L’innovation stratégique : c’est le moment ou jamais de penser l’après crise !
· Revalorisation de l’amont : cellule de veille, prospective, pluri-fertilisation (sur le net, observer, s’immerger..)
· Développement du marketing participatif : le consommateur devient le « consumaker », on passe du BtoC au CtoC ; la fidélité est choisie et impacte la Gestion de la Relation Client et l’interne à tous les stades
L’usage des NTIC et des nouveaux modes de communication on et off line avec les clients
· Pour passer du “one-to-many” au “one-to-one-to-one…” avec un marketing plus réactif et ajusté
· Pour proposer/faire émerger des idées nouvelles (fertilisation, générateurs d’idées, nouveaux usages…)
· Pour comprendre les liens inter-individuels et leurs expressions sur le net (qui parle de ma marque et comment, nouveaux usages)
· Pour développer l’exploration virtuelle et expérientielle (click and mortar)
Passer au « marketing du réenchantement »:
· Marque « coach » => réassurer/aider sur les plans physique, mental, émotionnel, relationnel
· Donner du rêve, de l’émotionnel de l’affect => produits de luxe, ou PGC augmentés, clubs, singularisation, expériences aux lieux d’achat
· Donner du sens, du spirituel, approche holistique ( relier le mental et le physique)
En conclusion : Danielle Rappoport nous suggère les questions que le Marketing doit se poser :
· Sur ses missions et ses fonctions => quelles limites ? quelle déontologie ? quelle place ?
· Sur son modèle => du modèle mécaniste au modèle systémique
· Sur la réhabilitation de son image : le consommateur ne veut plus payer l’immatériel, il faut passer du « trop » au « mieux »
Les questions de la salle ont permis d’amener quelques éclairages supplémentaires :
- La crise actuelle : évolution ou rupture ?
Deux écoles : une pour un statu quo et une pour affirmer que la consommation ne pourra plus être pareille :
- Marketing de la dé-consommation, développement des valeurs de solidarité, compréhension, partage => attention aux faux liens
- Développement de l’intelligence collective => transformation de la consommation => développement de la para-consommation (directe, sans intermédiaires), intégrer le service dans le produit
- Comment gérer la crise en tant que marque ?
· Besoin de faire aimer sa marque : c’est le consommateur qui porte la marque au-delà du consommateur qui « bosse » => les consommateurs doivent être les promoteurs de la marque => donne une nouvelle responsabilité à la marque
- Angoisse ou peur ?
Danielle Rapoport a également rebondit en conclusion sur la notion « d’anxiogène » et précisé la différence entre peur (contre un fait précis) et angoisse (plus diffus, non cerné).
C’est justement parce que l’époque est angoissante, sans visibilité de l’avenir et avec de nombreux « sujets de peur » (perte d’emploi, environnement, santé..) qu’il est important pour le consommateur d’agir pour lever son angoisse => il devient consomm’acteur pour ne plus subir…
En deuxième partie de la conférence, Anne Elisabeth Bureau, consultante chez Kouro Sivo/Loyal Touch, nous a donné le point de vue des experts de la motivation et de la fidélisation des réseaux de vente et commerciaux ; c’était beaucoup plus terre-à-terre et commercial, et moins philosophique comme approche mais aussi intéressant en termes de nouveautés marketing.
Contexte et enjeux :
- Surconsommation et complexité croissante des comportements d’achat
- Nécessité de passer d’un marketing purement transactionnel à un marketing relationnel pour répondre au-delà des besoins fonctionnels de la consommation à la satisfaction de désirs symboliques, éthiques, expérientiels et identitaires : l’objectif est de créer du lien
- Ce changement touche l’individu, le consommateur mais aussi le salarié/collaborateur => quête de sens/éthique au travail et dans l’entreprise
·
2 cibles : les clients => comment les fidéliser et les collaborateurs => comment leur offrir un cadre rassurant
ð Comment faire évoluer l’offre de service pour répondre à ses attentes fortes ?
· Offrir des partenariats gagnant/gagnant
· Faire gagner du pouvoir d’achat et permettre de consommer autrement
· Développer la motivation en adéquation avec les relations collaborateurs/entreprise
· Quelques exemples cités : Talk Talk, Assurance traite Hyundai, Carrefour Discount, Carte fidélité « Coup dur » Intermarché
1 – Partenariat gagnant-gagnant : exemple la carte bancaire co-brandée : (tiens, tiens…. Voir mes notes sur le sujet, ici, et là.. et là..je vous jure qu’on ne s’était pas consultées avant l’intervention !)
· Depuis octobre 2007, il est légalement possible d’apposer une marque sur une carte bancaire.
· Développement de programme de fidélisation auto-financée via des cartes de distribution (réseau d’enseigne) ou cartes affinitaires (acteurs non commerciaux ou sans réseaux)
· Convention tri-partite entre un organisme financier, une marque et le prestataire de fidélisation
· La carte bancaire co-brandée est moins chère pour le client et donne accès à des avantages personnalisés en lien avec l’affinité à la marque (galerie marchande) avec constitution de points fidélité pour accéder à cette galerie => + simple, + de pouvoir d’achat, + de statut
· La marque crée un lien de proximité avec le client et peut surtout exploiter des données clients/comportements d’achat (qualification multi-canal, pouvoir d’achat, périodes d’achats, typologie/ habitudes de consommation + programme autofinancé
· Pour l’organisme financier : acquisition de nouveaux clients qualifiés
2 –Développer la motivation des collaborateurs : exemple projet Manpower :
· Objectif projet : amener les 4 700 collaborateurs Manpower à devenir expert de la marque (relais quotidien des valeurs de la marque, des ambitions commerciales et de l’écoute client)
· Création du « canal Manpower », canal national sur le web comme outil d’autoformation, d’incentive et de marketing direct – portail on line de l’animation commerciale
· Résultats : 3000 connexions/jour en moyenne, augmentation du niveau d’expertise, de la participation aux incentives + du nombre de mailing régionaux et de leur taux de retour
En conclusion pour Loyaltouch
· Les nouvelles offres permettent de répondre aux attentes globales et de créer une dynamique dans une période anxiogène (mais vont-elles réellement convaincre le client ?)
· Réel besoin de créer un projet interne en cohérence avec l’externe pour être des leviers de motivation des collaborateurs (Mais D.Rapopport souligne l’importance de la communication, non seulement de haut en bas, mais aussi des collaborateurs vers le management ou des clients vers le management, pour que les projets d’entreprise aient du sens)
Le débat avec les participants de la conférence a souligné la contradiction entre les 2 présentations, l’une dans la « déconsommation » et l’horizon lointain, l’autre dans une approche plus traditionnelle et « mercantile » du métier de marketing
· Danièle, Rapopport, en « philosophe de la consommation », s’inquiète de ce système sans fin, de cette course à toujours plus de consommation autofinancée, de cette perception du consommateur « tiroir caisse » et insiste sur le respect du client et sur l’importance de consommer autrement
· Anne Elisabeth note que les offres de fidélisation co-brandées citées en exemple, répondent à une demande réelle des marques comme des clients, et qu’elles fonctionnent bien…
Le débat est lancé et il est loin d’être terminé !
Mais en ces temps difficiles où les managers et actionnaires demandent des actions avec effets sur les ventes dès le lendemain, il est difficile d’être juste philosophe !
17:58 Publié dans ADETEM & Co | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : crise, marketing, danielle rapopport, kouro sivo, loyaltouch, fidélisation, co-branding | | Facebook
Commentaires
Première visite sur votre site.
Bravo pour le contenu
Je cherchais des articles sur le "meilleur" choix stratégique entre Conquête ou Fidélisation en temps de crise et d'encombrement d'un marché.
Écrit par : Herrig | 29/09/2009
Merci Herrig
Effectivement d'après les articles qui sortent ces temps -ci, par exemple dans Marketing Direct ou LSA, il semble que la fidélisation tienne la corde en ce moment ; vu qu'il est plus facile et moins coûteux de fidéliser un client (pour augmenter sa fréquence d'achat ou son panier moyen), que de recruter un nouveau client en dépensant un gros budget com ou rognant sur sa marge....
Il n'y a donc pas que les "adetemers" qui soient d'accord sur ce point ...
J'espère que ça aide vos décisions !
A bientôt!
Écrit par : alice | 01/10/2009
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